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Verlaine, Chanson d'automne : commentaire de texte


Les sanglots longs
Des violons
De l’automne
Blessent mon coeur
D’une langueur
Monotone.
Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l’heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure
Et je m’en vais
Au vent mauvais
Qui m’emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
Feuille morte.

Paul Verlaine, Poèmes saturniens, Chanson d’automne

Introduction

« Chanson d’automne » est sans doute le poème le plus célèbre de Verlaine. L’œuvre est caractéristique du Symbolisme, mais elle témoigne aussi de l’importance qu’accorde le poète à la musicalité. Ainsi, dans son Art poétique, il affirme : « de la musicalité avant toute chose ».  « Chanson d’automne » est un poème bref, à la forme soigneusement travaillée, extrait de la section des « Paysages tristes », dans le recueil des Poèmes saturniens

Ce recueil constitue une œuvre de jeunesse, dans laquelle Verlaine s’inspire de thèmes romantiques, comme la vision mélancolique de l’automne. Le travail de la langue, ainsi que la vision propre au poète contribuent cependant à renouveler ces thèmes et leur interprétation. En quoi ce poème est-il une chanson triste ? C’est ce que nous examinerons en analysant la musicalité de « Chanson d’automne » et en montrant comment cette musicalité contribue à l’atmosphère mélancolique. 

I – Musicalité du poème et emprunts au genre de la chanson

La poésie, art orphique, était à l’origine accompagnée de musique. De nombreux poèmes ont d’ailleurs été chantés, qu’il s’agisse des sonnets de la Pléiade ou de certaines oeuvres de Verlaine, comme « Chanson d’automne », dont il existe par exemple une version chantée par Léo Ferré. Ce poème illustre la dimension musicale de l’écriture poétique et la recherche systématique de la musicalité chez Verlaine.

Création d’un univers sonore

« Chanson d’automne » frappe tout d’abord par la création d’un univers sonore original. La musique est présente dès le début du poème à travers les « violons », qui occupent l’ensemble du second vers. La diérèse tend à rallonger l’énoncé pour lui permettre d’épouser le vers de quatre syllabes. L’importance des violons est soulignée par la personnification du premier vers : les sons produits par ces instruments rappellent des « sanglots longs ». 

La seconde source sonore du poème, à la deuxième strophe, est une cloche : « quand sonne l’heure ». On peut penser aussi aux coups d’une horloge. Le poème nous fait passer d’un instrument de musique, produisant des sons harmonieux, à des sonorités plus brutales. Aux sanglots de la première strophe succède l’évocation de la fuite du temps. Verlaine joue sur les deux significations de l’expression, qui peut renvoyer au simple carillon, mais aussi à un moment crucial ou à l’heure de la mort. L’expression lexicalisée « l’heure a sonné » marque en effet un changement, une prise de conscience.

La dernière source sonore est naturelle, il s’agit du bruit du « vent mauvais ». Le poème glisse donc de l’instrument conçu par l’homme aux bruits de la nature en passant par les coups d’une horloge. Cette progression rythme la chanson.

Le travail du rythme

Dans la musique comme en poésie, le rythme tient une place centrale. Dans « Chanson d’automne », Verlaine a développé une forme spécifique, qui contribue à la musicalité et aux effets qu’il souhaite inscrire dans son poème. 

Le mètre dominant est le vers de quatre syllabes. On le trouve d’ailleurs dans le titre, « Chanson d’automne », comme si ce titre faisait partie intégrante des strophes. Parfois, le vers se réduit à trois syllabes, afin de créer une impression d’affaiblissement. Chaque strophe de six vers est ainsi composée de deux ensembles de trois vers. Chaque ensemble contient deux vers de quatre syllabes et un vers de trois syllabes. 

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D’autres effets contribuent à la rythmique du texte. Ainsi, la première strophe ne comprend pas de ponctuation, à l’exception du point final. L’impression dominante est celle de la monotonie. Verlaine utilise plusieurs enjambements, y compris entre le déterminant et le nom : « la / feuille morte ». Même si le poème est versifié, il s’agit pour le poète d’adopter une structure rythmique qui épouse les sentiments aussi bien que la logique propre aux sons.

Le travail sur les sonorités

Les sonorités contribuent pour beaucoup à la musicalité et aux effets du poème. Le terme « chanson », présent dans le titre, donne le ton. On retrouve ainsi le son « on » dans « longs » et « violons », à la rime, dans la première strophe. Mais le son « an » a lui aussi une place centrale dans le poème. La nasale se retrouve dans « sanglots, langueur, suffocant, quand, anciens, m’en vais, m’emporte » et « vent ». On note aussi la sonorité sifflante « s » de « chanson » dans « sanglots, blessent, suffocant, sonne, souvient » et « anciens », ainsi que dans « deçà ».

Verlaine procède de même avec le mot central de la première strophe : « violons », dont les sonorités se retrouvent dans l’ensemble des six premiers vers. On note ainsi la sonorité « l » dans « sanglots, blessent, long, l’automne, langueur, l’heure, pleure ». La nasale « on » construit un effet d’écho à la rime. Le son « v » est plus discret, mais on le trouve dans la deuxième strophe dans « souviens » et dans la troisième avec « vents » et « mauvais ».

Les sonorités introduisent une impression de monotonie et de tristesse. Elles contribuent à l’atmosphère sonore caractéristique de la mélancolie. On peut penser aux rimes « automne »/ »monotone », qui reprennent la sonorité finale de « sonne ».

*

Le poème se présente donc bien comme une « chanson ». Les effets musicaux mis en place par Verlaine contribuent à l’impression de tristesse, omniprésente dans le texte. La nature automnale tout comme les sonorités qui servent à l’évoquer contribuent à faire partager au lecteur la mélancolie du poète.

II – Tristesse du poète : un poème empreint de mélancolie

La thématique de l’automne a été largement utilisée par les poètes romantiques pour évoquer le mal de vivre. La saison, qui annonce l’hiver et célèbre la fin de l’été, est le miroir parfait pour l’âme en proie à la tristesse mélancolique. Dans « Chanson d’automne », Verlaine réinvente ce topos, en accordant une place centrale à la musicalité. Son poème se présente comme une chanson triste.

Personnification de l’automne

La saison, personnifiée, reflète l’état d’âme du poète. Verlaine évoque ainsi au vers 1 les « sanglots » et au vers 3, « l’automne », comme pour repousser la mention précise de cette saison. La personnification n’en est que plus saisissante. L’explication des sanglots n’est donnée que dans la troisième strophe, où le poète évoque les « vents mauvais », dont les bruits plaintifs rappellent l’évocation métaphorique des violons, au début du poème.

La personnification ouvre la voie au parallélisme entre l’atmosphère monotone et lugubre de l’automne et l’état d’âme du poète. La première personne apparaît brièvement au vers 4 : « blessent mon coeur ». Le ton est donné, l’idée dominante est la souffrance intérieure. Le poète semble passif dans toute la première partie du texte, tandis qu’on le retrouve en fonction de sujet, aux vers 10, 12 et 13. 

Les pleurs du vent sont mis en parallèle avec les pleurs du poète (vers 12) et les « sanglots » des violons. Le poème s’appuie sur un système de correspondances entre le paysage automnal, à peine esquissé, et le paysage intérieur.

Mélancolie et fuite du temps

Nous avons vu que Verlaine se sert du paysage automnal pour évoquer la souffrance. Celle-ci est à la fois psychologique et physique. La blessure évoquée dans la première strophe est affective, puisqu’elle touche le cœur. Mais les indications deviennent rapidement ambivalentes. « Langueur » renvoie à la fois à la mélancolie et à un état physique, celui d’un malade dont les forces diminuent progressivement. 

De même, les deux adjectifs qui décrivent le poète au début de la deuxième strophe évoquent plutôt un état physique, même si celui-ci semble dériver de la souffrance intérieure : « suffocant » et « blême ». A l’image de la nature automnale, le poète perd son énergie, son visage n’a plus de couleurs, comme le paysage.

La mélancolie est provoquée par le souvenir et la prise de conscience de la fuite du temps. L’automne est à l’image de la vie qui s’achemine vers sa fin, d’où l’expression « sonne l’heure », qui évoque une sorte de glas.

Un poème sur la mort

L’automne évoque le déclin : celui de la nature, mais surtout celui du poète. Ainsi, le poème peut être compris comme une réflexion sur la mort. Ce qui provoque la mélancolie, voire la douleur, c’est le souvenir des « jours anciens ». L’automne symbolise alors non seulement la tristesse, dont la nature devient la confidente, mais surtout la prise de conscience d’une approche de la mort. On comprend dès lors mieux l’évocation de l’affaiblissement physique et le portrait du poète en mourant, sans énergie, pâle (« blême ») et peinant à respirer (« suffocant »).

Verlaine se présente comme l’objet des éléments. Il écrit certes « je m’en vais », mais cette expression est corrigée deux vers plus loin par « qui m’emporte ». « Le vent mauvais » semble quelque esprit malfaisant. Le parallélisme du vers suivant, « deçà / delà » montre que le poète a cessé de pouvoir diriger sa vie. C’est le hasard, pour ne pas dire la fatalité, qui décide de son chemin.

L’enjambement des deux derniers vers permet de conclure le poème sur un rythme plus long, qui marque une dernière fois la monotonie et l’absence d’énergie. Le poète s’abandonne à la mélancolie et laisse les forces de la nature diriger sa vie. La thématique funèbre est confirmée par le dernier mot du poème et la référence à la « feuille morte », dans une comparaison qui en fait le symbole du poète et de la vie humaine, dans sa fragilité. 

Après l’angoisse qui domine la deuxième strophe, la troisième introduit un apaisement, sous forme d’une résignation qui s’inscrit dans les rythmes de la nature.

Conclusion

« Chanson d’automne » se présente comme un poème simple, à la manière de nombreuses œuvres de Verlaine. La simplicité n’est pourtant qu’apparente. La modernité poétique de Verlaine éclate déjà dans les Poèmes saturniens et en particulier dans ce texte. Le poète reprend les codes et les thématiques de la poésie lyrique romantique pour proposer une interprétation personnelle et originale. Le choix de composer une chanson triste contribue pour beaucoup à la réussite du poème, avec sa musicalité et les nombreuses irrégularités poétiques. En 1901, Guillaume Apollinaire s’inspire de « Chanson d’automne » pour composer les « Colchiques », une œuvre très proche sur le plan thématique.

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