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Emma Becker : La maison - critique

Lorsqu’Emma Becker s’est enrôlée dans une maison close berlinoise après avoir publié Mr. (2011) et Alice (2015), c’était avant tout par amour des femmes. Quelle idée pour une jeune écrivaine que de se prostituer, et pire : de le faire volontairement ? Serait-elle en manque d’argent malgré les quatorze traductions de son premier ouvrage ? Dans l’attente d’une avance de son éditeur ? Sous le joug d’un mac tout puissant ?

Il y a surtout un projet littéraire caché comme une excuse derrière une irrésistible curiosité : qui sont ces femmes ? Comment en viennent-elles à faire ce métier ? Comment le vivent-elles ? Est-ce que ça leur arrive de jouir... quand même ? La Maison apporte des réponses sans se vautrer dans l’angélisme de certains de ses prédécesseurs masculins, ni le moralisme réducteur de ceux qui firent fermer les maisons closes françaises en 1946. Quelques années après le manifeste des 343 salauds, Emma Becker jette un pavé dans la marre en pleine tempête post-metoo. Féministe ? Certainement.

Quand Emma Becker devient Justine, pute « nue comme un ver » au sein d’une Maison un peu particulière puisqu’on est loin des bordels glauques qu’on peut s’imaginer, l’écrivaine nous offre une réflexion sur la sexualité féminine au contact de masculinités plurielles : du jeune père de famille qui vient verser son bonheur dans les entrelacs érotiques d’une prostituée au vieux lourd qui souhaite apprendre à faire un cunnilingus. C’est ainsi que le lecteur est bringuebalé dans cet univers mystérieux, virevoltant entre des passages franchement drôles à l’image de cette malheureuse qui offre une escort-girl à son fiancé pour finir dans un plan à trois désastreux, des pages déconcertantes et des chagrins nostalgiques, microcosme formant une subtile métaphore de la vie. 

À travers cette expérience singulière où les stéréotypes sont battus en brèche, l’auteure montre finalement ce qui fait la spécificité de ce monde reclus dans les coins sombres de la société : 

« J’imagine qu’il est naturel qu’une trentaine de femmes vivant nues les unes contre les autres, réunies par le simple fait d’être nées femmes et payées pour ça, puissent, si elles ne s’estiment pas ennemies, se considérer soeurs. »

La Maison est bien plus qu’un bordel, c’est le lieu où la sororité devient possible, là où les femmes s’unissent autour de leur condition commune alors que tant d’exemples historiques ont montré l’incapacité de la gent féminine à se constituer en tant que classe sociale face au patriarcat. Dans ce lieu empreint de sacralité, les femmes peuvent enfin toiser les hommes avec le furieux aplomb nécessaire à la compréhension des rapports humains. Un livre qui fait du bien et qui réussit à nous interroger sur l’humanité, soit un objet littéraire admirable.


Le livre : La Maison d'Emma Becker (Flammarion, 2019)

« J’ai toujours cru que j’écrivais sur les hommes. Avant de m’apercevoir que je n’écris que sur les femmes. Sur le fait d’en être une. Écrire sur les putes, qui sont payées pour être des femmes, qui sont vraiment des femmes, qui ne sont que ça ; écrire sur la nudité absolue de cette condition, c’est comme examiner mon sexe sous un microscope. Et j’en éprouve la même fascination qu’un laborantin regardant des cellules essentielles à toute forme de vie. »


« Emma Becker évite tous les pièges : ni angélisme ni leçons de morale. Elle n’encense pas la prostitution, ne passe sous silence ni sa misère, ni sa violence, ni ses dangers, ni sa tristesse. (…) Elle livre son expérience avec une sincérité et une sensibilité extrêmes. »

Frédéric Beigbeder – LE FIGARO MAGAZINE


« L’auteure sait saisir et retranscrire la beauté, tout en faisant souvent preuve d’humour ou d’une légèreté grave qui caresse le regard. »

Libération


« La maison est un objet rare, aussi atypique que doit l’être la personnalité de son auteure. »

David Foenkinos – LA LIBRAIRIE DE L’EXPRESS
  • Nombre de pages : 384
  • Prix : 21 euros

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L'auteure : Emma Becker

Emma Becker est née en 1988 dans les Hauts-de-Seine. Elle est écrivain. Elle vit à Berlin, où, durant deux ans, elle a travaillé dans une maison close. Aux éditions Denoël, elle a publié deux romans, Mr. (2011), traduit dans quatorze pays, et Alice (2015).

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Commentaires

Dominique

Bonjour,

Un élément de réponse très détaillé sur le site de l’Académie française:

http://www.academie-francaise.fr/sites/academie-francaise.fr/files/rapport_feminisation_noms_de_metier_et_de_fonction.pdf

Bonne lecture.
Dominique

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Martha

Bonjour
Je voulais signaler que le mot auteur ne peut absolument pas faire son féminin en auteure, c’est un non-sens et une impossibilité linguistique. Le féminin d’acteur n’est pas acteure et celui de facteur n’est pas facteure. Dans la même veine, le féminin d’auteur ne peut être qu’autrice. La personne qui a inventé ce barbarisme n’avait certainement aucune connaissance des tenants et des aboutissants de la langue française.

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Gilles DUVAL

je suis entièrement d’accord
nous vivons dans la tyrannie du politiquement correct drapé dans sa vertu et donneur de leçons

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La langue française

Bonjour Martha,
Merci de soulever cette question, je vais écrire un article sur le sujet.

Nicolas.

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