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Fiche de lecture : Les figures du discours, Pierre Fontanier

Pierre Fontanier, Les figures du discours

Cette fiche de lecture suit le développement et synthétise Les figures du discours de Pierre Fontanier (1765 - 1844), grammairien français, qui référence et étudie de manière systématique les figures de style. Le travail de Fontanier est utilisé dans l'enseignement de la rhétorique en France depuis le XIXe siècle.

Référence de l'ouvrage : Fontanier, P. [1821-1827] 1977. Les figures du discours. Paris. Flammarion.

Sommaire fontanier

Introduction de Gérard Genette – présentation de l’ouvrage et de sa méthode

Les figures du discours de Pierre Fontanier est un ouvrage formé de deux manuels. Le Manuel classique pour l’étude des tropes ou Éléments de la science du sens des mots, publié en 1821, était destiné aux élèves de la classe de Seconde ; le Traité général des Figures du discours autres que les Tropes, publié en 1827, était destiné à la classe de Rhétorique. Mais si cette publication en deux temps suit l’idée d’une dynamique progressive de l’enseignement, l’auteur considérait surtout les deux manuels comme n’en formant qu’un seul.

L’édition de 1997 chez Flammarion respecte cette volonté de réunion des deux manuels sous le titre Les figures du discours. C’est la raison pour laquelle cette fiche de lecture s’organise en deux grandes parties.

Lorsque Fontanier publie la première édition du premier manuel en 1821, le contexte est marqué par l’hégémonie de l’œuvre de Dumarsais. César Chesneau Dumarsais a écrit Des Tropes et des différents sens en 1730, ouvrage faisant autorité dans les programmes d’enseignement depuis. Pour que son manuel soit à son tour validé et adopté par les collèges, Fontanier commence par montrer, avec respect et professionnalisme, les écueils et défauts de l’œuvre de Dumarsais dans un Commentaire publié en 1818. L’accueil favorable de ce commentaire lui permet de publier son premier manuel, dont « le succès fut considérable » : « l’ouvrage fut officiellement adopté comme manuel par l’Université » (G. Genette, p. 6). Mais quel est l’apport de Fontanier par rapport à Dumarsais ?

Dumarsais ne s’intéressait qu’aux tropes, là où Fontanier s’intéresse à toutes les figures, même celles qui ne reposent pas sur un jeu de signification. Il théorise même la figure, et « Son traité n’est pas seulement étendu, d’une manière exhaustive et exclusive, à tout le champ des figures, il est aussi centré, pour ainsi dire, sur le concept même de figure » (p. 9). De plus, la rhétorique ancienne s’attachait à étudier les énoncés dans leur ensemble, alors que Fontanier prend pour origine de ses analyses une autre unité d’étude, celle du mot. La figure peut en effet s’observer sur un seul mot, gagner ensuite un segment de phrase, et s’étendre finalement sur tout un énoncé. Ainsi, « ce n’est pas en rhétoricien, mais en "grammairien" – nous dirions aujourd’hui en linguiste » (p. 8) qu’il aborde sa tâche. 

Surtout, il ne considère pas l’usage des mots comme l’apanage des auteurs et des Belles-Lettres, mais les rend à l’immensité des locuteurs francophones. À la suite de Boileau et de Dumarsais, il reconnaît à propos des tropes qu’

[…] il s’en fait plus aux halles un jour de marché, qu’il n’y en a dans toute l’Énéide, ou qu’il ne s’en fait à l’Académie dans plusieurs séances consécutives. […]. Les Tropes appartiennent donc autant, et même plus en quelque sorte, à ceux qui connaissent le moins la langue et savent le moins ce que c’est que Tropes ou que figures, qu’à ceux qui sont, à l’un et à l’autre égard, les plus instruits ou les plus exercés ; […].

p. 157

Son « attitude […] est donc celle d’un lexicologue ou d’un "sémanticien", à peu près au sens que l’on donnera à ce mot à la fin du XIXe siècle » (G. Genette, p. 8). Attitude éminemment novatrice donc, et c’est la raison pour laquelle nous souhaitions revenir sur cette œuvre majeure dans l’histoire de la rhétorique française. Dans cette étude poussée, Fontanier allie la mémoire exacte des théorisations anciennes à une réflexion nouvelle d’une grande finesse, en exemplifiant son propos à l’aide d’auteurs qu’il maîtrise parfaitement. Un élément majeur dans cette réflexion nouvelle est la distinction qu’il fait au sein des phénomènes de substitution de sens, entre celles qui apparaissent à cause d’une lacune du lexique et qu’il appelle catachrèses, et celles « choisies par décision de style » (p. 8).

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L’ouvrage est marqué par une alternance entre théorisations et réflexions d’une part, et catalogue de figures exemplifiées d’autre part. C’est ce qui en fait un ouvrage de recherche en rhétorique : Fontanier ne se contente pas de présenter des figures (83 au total), il expose une pensée et une théorisation nouvelles sur les figures et sur notre rapport à la langue, comme manière d’exprimer notre pensée.

S’il conseille de noter sur un cahier le canevas du livre afin d’avoir une vision d’ensemble claire, et de fournir pour chaque figure une définition simple et une étymologie, le format numérique du site internet semble en faciliter la réalisation. Dans tout ce qui suit, les noms des figures sont autant de liens renvoyant aux articles dédiés, faisant de notre rubrique « figures de style » un moyen de voyager efficacement dans l’œuvre de Fontanier.

Manuel classique pour l’étude des Tropes (p. 19-268)

Première partie – notions préliminaires (p. 37-70)

Dans ce préambule à la théorie des tropes, Fontanier revient sur le lien entre les idées et les mots, sur le phénomène de figuration dans le discours, et sur les notions de sens et de signification. Afin de justifier le retour sur ces « notions préliminaires », il donne une définition des tropes :

Les Tropes sont certains sens plus ou moins différents du sens primitif, qu’offrent, dans l’expression de la pensée, les mots appliqués à de nouvelles idées. La connaissance de ces divers sens suppose donc nécessairement celle du rapport de l’expression avec la pensée.

p. 39

Il convient donc de rappeler les différents types de sens (leur définition fait l’objet du chapitre III de cette partie), car ils éclairent ensuite toute la théorisation des tropes1. Tout d’abord à propos du sens en général :

Le sens est, relativement à un mot, ce que ce mot nous fait entendre, penser, sentir par sa signification ; et sa signification est ce qu’il signifie, c’est-à-dire, ce dont il est signe, dont il fait signe.
On voit donc que sens et signification ne sont pas parfaitement synonymes. La signification se dit du mot considéré en lui-même, considéré comme signe, et le sens se dit du mot considéré quant à son effet dans l’esprit, considéré en tant qu’entendu comme il doit l’être.

p. 55

Trois sens possibles se dégagent alors, en fonction de la manière dont on considère la proposition : « […] quant à son objet [c’est le « sens objectif »] ; […] quant à la lettre [« sens littéral »], et quant à l’esprit de l’expression [« sens spirituel ou intellectuel »] » (p. 55). Il ajoute que le sens littéral peut être « primitif » ou « dérivé », autrement dit « naturel » ou « tropologique » :

Le sens littéral qui ne tient qu’à un seul mot, est ou primitif, naturel et propre, ou dérivé, s’il faut le dire, et tropologique. Ce dernier est dû aux Tropes, dont on distingue plusieurs genres et plusieurs espèces.
Mais les Tropes ont lieu, ou par nécessité et par extension, pour suppléer aux mots qui manquent à la langue pour certaines idées, ou par choix et par figure, pour présenter les idées sous des images plus vives et plus frappantes que leurs signes propres.

p. 57

Il existe donc des tropes formés par extension – ils donnent lieu au « sens tropologique extensif » – et les tropes formés par figure – ils donnent lieu au « sens tropologique figuré ».

Le sens spirituel, lui, est tout entier formé par l’esprit à partir du sens littéral, selon un contexte. Il est « […] celui que le sens littéral fait naître dans l’esprit par les circonstances du discours, par le ton de la voix, ou par la liaison des idées exprimées avec celles qui ne le sont pas. […]. Il n’existe pas pour celui qui prend tout à la lettre, pour celui qui ne sait pas que la lettre tue, et que l’esprit vivifie » (p. 58-59). Le sens spirituel se trouve produit ou par fiction, ou par réflexion, ou par opposition. Il est donc question d’un « sens fictif », d’un « sens réflexif », et d’un « sens oppositif » et c’est dans chacune de ces ramifications du sens spirituel que l’on trouve d’autres tropes, formés non pas sur un seul mot (comme dans le sens littéral) mais sur plusieurs mots.

Le sens tropologique figuré, présenté dans le sens littéral, donne lieu aux tropes en un seul mot donc, et il s’agira uniquement du trio métaphore-métonymie-synecdoque. Le sens spirituel naît d’associations d’idées et donne lieu aux tropes en plusieurs mots ; il s’agira des figures comme la personnification et l’allégorie.

Schéma récapitulatif du chapitre III

Le chapitre IV (« Des figures du discours en général ») donne une définition générale des figures en partant du rappel que l’on en trouve dans le sens littéral et dans le sens spirituel. Beaucoup de définitions ont été proposées pour le terme de « figure » mais sans apporter satisfaction à notre grammairien. Il retient celle de l’Académie française, en réunissant les deux acceptions qu’elle distingue2 pour proposer la définition suivante :

De ces deux définitions fondues l’une dans l’autre, résulte, ce me semble, assez naturellement celle-ci : Les figures du discours sont les traits, les formes ou les tours plus ou moins remarquables et d’un effet plus ou moins heureux, par lesquels le discours, dans l’expression des idées, des pensées ou des sentiments, s’éloigne plus ou moins de ce qui en eût été l’expression simple et commune.

p. 64

La distinction traditionnelle et héritée des anciens grammairiens et rhéteurs en figures de mots et figures de pensée semble satisfaisante, mais doit parfois être réaménagée car certaines figures participent des deux. Fontanier propose la catégorie des « figures mixtes » : « Tant de figures, en effet, semblent ne pas moins tenir à la pensée qu’à l’expression, ou à l’expression qu’à la pensée ! » (p. 65, il souligne).

Il s’en tient, pour la forme, à la distinction traditionnelle mais redéfinit les figures de pensée pour n’y voir que les « figures absolument indépendantes de l’expression ». La classe des figures de mots se trouve à l’inverse étendue aux figures formées « par l’artifice de l’esprit » mais qui, dans leur fonctionnement, sont entièrement reliées à la manière dont les mots expriment. On trouve alors une sous-classification dans les figures de mots :

sous-classification

Le second manuel, portant sur les « Figures du discours autres que les Tropes », présente toutes les figures de mots pris dans leur sens propre, et les figures de pensée.

Deuxième partie – Théorie des Tropes (p. 71-206)

La partie précédente a montré qu’un mot peut avoir un sens primitif ou tropologique. C’est également le cas de toute une proposition. Cette constatation permet d’organiser la seconde partie en fonction du siège du trope : un seul mot, ou une proposition. On trouve ensuite une troisième section « où, les réunissant sous un même point de vue, nous les considérerons relativement à leur emploi dans le discours » (p. 75).

Section première – Des tropes en un seul mot, ou proprement dits

Les figures en un seul mot sont les figures de signification et s’étudient en fonction du type de relation élaboré entre la première idée attachée au mot et la nouvelle idée. Il y a trois rapports possibles.

1. Le rapport de corrélation ou correspondance donne lieu à la métonymie (chap.I, p. 79-86) :

Les Tropes par correspondance consistent dans la désignation d’un objet par le nom d’un autre objet qui fait comme lui un tout absolument à part, mais qui lui doit ou à qui il doit lui-même plus ou moins, ou pour son existence, ou pour sa manière d’être.

p. 79

2. Le rapport de connexion donne lieu à la synecdoque (chap. II, p. 87-97) :

Les Tropes par connexion consistent dans la désignation d’un objet par le nom d’un autre objet avec lequel il forme un ensemble, un tout, ou physique ou métaphysique, l’existence ou l’idée de l’un se trouvant comprise dans l’existence ou l’idée de l’autre.
[…]. Aussi définit-on la synecdoque, Un Trope par lequel on dit le plus pour le moins, ou le moins pour le plus.

p. 87

Il présente alors huit types de synecdoques. Les deux derniers, d’abstraction et d’individu, donnent lieu à un développement plus conséquent que les autres. C’est dans la synecdoque d’individu que l’on trouve la définition de l’antonomase.

3. Le rapport de ressemblance donne lieu à la métaphore (chap. III, p. 99-104) :

Les Tropes par ressemblance consistent à présenter une idée sous le signe d’une autre idée plus frappante ou plus connue, qui, d’ailleurs, ne tient à la première par aucun autre lien que celui d’une certaine conformité ou analogie.

p. 99

Contrairement à la métonymie et à la synecdoque, la métaphore peut porter sur autre chose que sur un nom : nom (cet homme est un tigre, cet homme est un agneau), adjectif (une vie orageuse, remords dévorant, bras furieux), participe (glacé de crainte, pétrifié d’étonnement, brûlé d’amour, fondant en larmes), verbe (sa tête fermente, il fume de rage, le vin lui a lié la langue), et parfois adverbe (répondre sèchement, recevoir froidement).

Il existe plusieurs types de métaphores, que l’on peut rassembler sous deux appellations : « la Métaphore physique et la Métaphore morale » :

[…] la Métaphore physique, c’est-à-dire, celle où deux objets physiques, animés ou inanimée, sont comparés entre eux ; la Métaphore morale, c’est-à-dire celle où quelque chose d’abstrait, de métaphysique, quelque chose de l’ordre moral se trouve comparé avec quelque chose de physique, et qui affecte les sens, soit que le transport ait lieu du second au premier, ou du premier au second.

p. 103

Le chapitre IV (p. 105-108) porte sur les cas où un énoncé présente deux fois le même mot, une fois avec un sens tropologique figuré, une fois avec son sens propre. Il y est donc question des syllepses :

Les Tropes mixtes, qu’on appelle Syllepses, consistent à prendre un même mot tout-à-la-fois dans deux sens différents, l’un primitif ou censé tel, mais toujours du moins propre ; et l’autre figuré ou censé tel, s’il ne l’est pas toujours en effet ; ce qui a lieu par métonymie, par synecdoque, ou par métaphore ».

p. 105

Deuxième section – Des tropes en plusieurs mots, ou improprement dits

Ces tropes sont formés à partir du sens spirituel qui peut naître du sens littéral (cf. chap. III, partie 1). On trouve le sens fictif, le sens réflectif et le sens oppositif et « Ils n’offrent pas, comme les Tropes en un seul mot, une simple idée, mais une pensée, et ils la présentent avec plus ou moins de déguisement ou de détour » (p. 109). Étant donné qu’ils ne forment pas des figures de mots, Fontanier parle de figures d’expression.

1. Figures d’expression par fiction (chap. I, p. 111-122) :

 […] notre esprit, pour rendre une pensée plus sensible ou plus riante, la produit sous des couleurs, sous des traits qu’elle n’a pas naturellement, ou lui prête les traits, les couleurs d’une autre pensée : de là les figures d’expression par image, ou, ce qui sera mieux, la fiction.

p. 111

Les figures rencontrées dans ce chapitre sont la personnification, l’allégorie, l’allégorisme, la subjectification, le mythologisme.

2. Figures d’expression par réflexion (chap. II, p. 123-141). Elles servent à exprimer une idée sans la dévoiler entièrement, à la suggérer plus qu’à la dire explicitement. Cette idée,

nous la dirons moins que nous la ferons concevoir ou deviner, par le rapport des idées énoncées avec celles qui ne le sont pas, et sur lesquelles les premières vont en quelques sortes se réfléchir, sur lesquelles du moins elles appellent la réflexion, en même temps qu’elles les réveillent dans la mémoire : alors, par conséquent, des figures d’expression par réflexion.

p. 123

Les figures rencontrées dans ce chapitre sont l’hyperbole, l’allusion, la métalepse, l’association, la litote, la réticence, le paradoxisme.

3. Figures d’expression par opposition (chap. III, p. 143-154).

Les figures par opposition permettent d’« énoncer à-peu-près tout le contraire de ce qu’[on] pense » (p. 143), de prescrire ce qui est inverse à notre pensée, mais pour faire entendre précisément l’inverse de ce qui est dit. Ces figures permettent de conseiller ou de prescrire « ce qui, le plus souvent, est le plus loin de sa pensée ». Les figures rencontrées dans ce chapitre sont la prétérition, l'ironie, l’épitrope, l’astéisme, la contrefision.

Dans cette deuxième section, quatre figures sont de la création de Fontanier. Il s’agit de l’allégorisme, de la subjectification, du mythologisme et de la contrefision. Il reconnaît que l’usage n’accorde d’ordinaire pas de place aux éléments de langage concernés par ces quatre figures. Il conçoit ainsi sa théorie des tropes comme un moyen de nommer des phénomènes figuraux qu’il considère comme ayant un fonctionnement spécifique et qui n’ont jusqu’ici pas bénéficié d’un traitement particulier. Il souligne leurs similitudes avec les figures les plus proches, et se livre ici à un travail d’onomaturge.

Section troisième – Des tropes, tant en seul mot qu’en plusieurs mots, considérés relativement à leur emploi dans le discours

Cette dernière section de la deuxième partie revient sur les raisons de notre recours aux tropes, aux règles qu’il faut observer pour en faire bon usage, afin d’orner le discours sans tomber dans un emploi mauvais ou abusif. Cette section est donc légèrement différente dans sa destination : il ne s’agit plus d’apprendre à repérer tel ou tel trope dans le discours, et de parvenir à commenter son effet, il s’agit d’être attentif aux règles de composition, certainement pour que les élèves composent des discours de rhétorique ornementés mais équilibrés.

Le chapitre I présente les origines et les causes des tropes. Les causes des tropes peuvent être occasionnelles – « la pauvreté de la langue, le défaut de mots propres, et le besoin, la nécessité de suppléer à cette pauvreté et à ce défaut » (p.1583) – ou génératrices, qui viennent de « nos facultés morales ou intellectuelles » (p. 161) comme l’imagination, l’esprit et la passion. Les causes génératrices par imagination produisent les métonymies, synecdoques, métaphores, allégorismes, allégories, personnifications, hyperboles. Les causes génératrices par l’esprit, qui joue « avec les idées et avec mots » pour produire « l’étonnement, la surprise, par des combinaisons nouvelles, intattendues » (p. 162), produisent l’allusion, la litote, la métalepse, la prétérition, l’association, l’astéisme. Les causes génératrices par la passion qui peut imprimer « tellement au langage son caractère, et en conséquence, sa force, son énergie, qu’elle semble l’inspirer, le dicter » (p. 163), produisent possiblement tous les tropes mentionnés dans la section précédente.

Le chapitre II s’intéresse aux « effets des tropes » sur le langage et en dénombre quatre : la noblesse et la dignité ; la concision et l’énergie ; la clarté et la force ; l’intérêt et la capacité de toucher. Une fois les effets donnés, Fontanier distingue enfin deux origines des tropes : il distingue les « Tropes de la langue » et les « Tropes d’invention, ou Tropes de l’écrivain » (p. 164, il souligne) :

[…] les uns, actuellement, et même la plupart, comme généralement reçus, et ne portant aucun caractère de nouveauté, tiennent au fond même de la langue, tandis que les autres, en petit nombre, n’y tiennent pas du tout, ou comme encore trop nouveaux, ou comme n’ayant guère pour eux que l’autorité de l’écrivain qui les a mis au jour.

p. 164

Il donne un exemple tiré de Othon de Corneille. Ce sont des vers où se trouvent d’abord un trope de la langue, et ensuite un trope de l’écrivain (I, 1, v. 41-44) :

Je les voyais tous trois s’empresser sous un maître
Qui chargé d’un long âge a peu de temps à l’être,
Et tous trois à l’envi s’empresser ardemment
À qui devorerait ce règne d’un moment.

On trouve deux métaphores (soulignées par Fontanier), et la première est commune, c’est un trope de la langue comme quand on dit « chargé d’années ». La deuxième métaphore est de la création même de Corneille car « qui est-ce qui, avant Corneille, avait dit, dévorer un règne ? Personne, à ce qu’il paraît » (p. 165).

Dans le chapitre III, Fontanier conseille d’être attentif aux règles du goût en laissant naître un trope d’un sujet, plutôt que de forcer l’expression tropique. Les tropes doivent venir « comme d’inspiration » et être « tellement fondus dans la pensée ou dans le sentiment, qu’on n’aperçoive ni l’intention ni le travail de l’esprit » (p. 182). Cela signifie secondement que les tropes doivent avoir un fondement vraisemblable et ne mettent pas en échec nos capacités de représentation : à propos des métaphores, des allégories et des allégorismes « il faut que les rapports, qui leur servent de fondement soient vrais, justes, naturels, faciles à saisir, agréables à observer […] » (p. 183). Enfin, l’abus des tropes dessert le discours. Fontanier conseille de ne pas en abuser :

Les Tropes sont l’ornement du style, et ils n’en sont pas le fond ni l’essence ; ils sont une partie de l’art de l’écrivain, et non pas cet art tout entier. Entassés les uns sur les autres, ils annonceraient un écrivain superficiel et léger, moins occupé de la justesse et de la solidité des pensées, que d’un vain éclat ou d’une vaine pompe dans les paroles […].

p. 184

Troisième partie – Supplément à la théorie des Tropes (p. 207-268)

Le chapitre I est consacré aux catachrèses. La catachrèse est un type de trope et porte sur une extension de sens et non sur un sens figural (cf. distinction entre « sens tropologique extensif » et « sens tropologique figuré » faite au début du précédent manuel). Elle n’est donc pas une figure et doit trouver un développement dans le Manuel des tropes. Il existe des catachrèses de métonymie, de synecdoque et de métaphore. Voir l’article catachrèse.

Le chapitre III se compose d’études stylistiques sur extraits4. Il s’agit d’une sorte de chapitre-pratique, inscrit après la présentation de la théorie de tropes et après les définitions détaillées où les Tropes sont décrits un à un, donc séparément. Ce chapitre III, intitulé « Moyens de reconnaître les tropes dans le discours, et d’en apprécier les mérites », montre comment les tropes peuvent s’imbriquer les uns dans les autres pour produire un effet poétique, ou du moins s’arrête sur chaque sens tropologique pour l’étudier :

Ce qui est bien plus important, et aussi bien plus difficile, c’est de savoir les reconnaître et les caractériser à mesure qu’ils se présentent dans le discours ; de savoir juger si ce ne sont que des Tropes purement extensifs, purement catachrétiques […] ; ou si ce sont des Tropes véritablement figurés, et à double sens : et, dans ce dernier cas, s’ils sont d’un bon usage, d’un bon effet ; s’ils sont avoués, ou, au contraire, condamnés par la raison et le goût.

p. 233

Sur les vingt-deux extraits cités et analysés, on reprendra à titre d’exemple la démonstration suivante :

Sur les ailes du Temps la Tristesse s’envole.

a dit La Fontaine, pour : La Tristesse s’en va, se dissipe avec le temps ; et quelle vie, quel éclat ne donne à la pensée cette expression vraiment poétique ! Mais à quelle figure faut-il la rapporter ? Voyons ; il est possible qu’il s’y en trouve plus d’une. Dès que la Tristesse s’envole, la voilà donc un être vivant. Mais la voilà, par cela même personnifiée ; car nous ne réalisons un être abstrait et moral, nous ne lui donnons un corps et une âme que pour en faire, à notre image, une personne. Maintenant, la Tristesse peut-elle exécuter sans ailes l’action qu’on lui prête ? Ce n’est pas sur des ailes qui lui soient propres qu’elle s’envole, mais c’est sur les ailes du Temps : voilà donc aussi le Temps personnifié à son tour. De ces deux personnifications réunies, résulte une image allégorique qui constitue, non pas une vraie Allégorie, puisqu’elle n’offre qu’une seule pensée au lieu de deux, mais une Allégorie du genre que nous appelons Allégorisme. Personnification et Allégorisme, telles sont les figures de ce vers charmant ; elles l’occupent l’une et l’autre tout entier.

Le mot ailes ne forme donc pas, à lui seul, dans ce vers, comme on pourrait le croire, un sens figuré, une Métaphore : il n’y est même que dans un sens que l’on peut dire propre, puisqu’on ne peut sans doute s’envoler que sur des ailes, n’importe lesquelles. Pour que ce mot forme, à lui seul, un sens figuré dans une phrase, il faut qu’il représente à-la-fois deux idées à l’esprit, et que celle qu’il énonce directement ne soit que pour en faire mieux ressortir une autre cachée sur cette image ; comme, par exemple, quand on dit : Cette fille a besoin d’être encore sous l’aile de sa mère. Il est bien évident que par aile, alors, on entend auspices, garde, conduite […].

p. 237

Traité général des Figures du discours autres que les Tropes (p. 269 - 493)

Dans le chapitre IV de la première partie du premier manuel, Fontanier définit les figures en général et revient sur la distinction traditionnelle entre figures de mots et figures de pensée. Au sein des figures de mots, on trouvait celles où les mots sont pris dans un sens propre, et celles où les mots sont pris dans un sens figuré (les tropes, objet du premier manuel).

Les trois premiers chapitres du Traité général des Figures du discours autres que les Tropes portent sur les figures de mots pris dans un sens propre. Elles ont été présentées jusqu’ici comme se décomposant en quatre types : de diction, de construction, d’élocution, de style. Les figures de diction ne donnent pas lieu au développement d’un chapitre dédié, car il s’agit uniquement du métaplasme. Par « figure de diction », Fontanier entend les cas où une lettre ou une syllabe est retranchée ou ajoutée à un mot : il s’agit donc d’une observation morphologique sur les mots. C’est par exemple l’ajout d’un « e » à l’initiale des mots latins studium et spatium pour former les mots estude (> étude) et espace. Il s’agit principalement de phénomènes d’évolution phonétique et graphique de la langue.

Le traité présente ainsi les figures de construction, d’élocution et de style, avant de consacrer un chapitre (le chapitre IV) aux figures de pensée, dont il n’a pas été question avant. Elles consistent « dans le tour de l’imagination et dans la manière particulière de penser ou de sentir » (p. 228) et donc moins dans les mots.

1. Figures de construction (chap. I, p. 283-322). Elles concernent la syntaxe de la phrase :

Les Figures de Construction consistent dans la manière dont les mots sont combinés et disposés dans la phrase, et elles ont lieu, ou par une surabondance de mots, comme le pléonasme, ou par une suppression de mots, comme l’ellipse ; ou par un ordre de construction tout différent de l’ordre suivi dans l’usage commun.

p. 223

On trouve ensuite des sous-divisions : construction par révolution, par exubérance, par sous-entente. Les figures de construction par révolution comptent l’inversion ou hyperbate, l’imitation – qui consiste à imiter les tours de la langue latine, grecque, ou autre, donc de faire des latinismes, héllenismes, hébraïsmes, anglicisme, germanisme, etc. – et l’enallage.

Les figures de construction par exubérance comptent l’apposition, le plénonasme et l’explétion. En fin de chapitre, Fontanier y ajoute l’incidence. Les figures de construction par sous-entente comptent l’ellipse, la synthèse, le zeugme et l’anacoluthe.

2. Figures d’élocution (chap. II, p. 323-358). Elles sont présentes à chaque fois que la « diction » est « ménagée avec art et avec goût, pour rendre telle idée ou tel sentiment de manière à produire sur l’esprit ou sur le cœur tout l’effet possible » (p. 323).

Le chapitre comprend les figures par extension ou par ornement qui consistent à ajouter des éléments accessoires, – il s’agit de l’épithète et de la pronomination – les figures par déduction qui comportent la répétition, la métabole, la gradation, lesquelles sont fondées sur un mécanisme d’attente d’une répétition ou d’un même motif ; les figures par liaison qui comportent l’adjonction, la conjonction, la disjonction, l’abruption ; enfin les figures par consonance : l’allitération, la paronomase, l’antanaclase, l’assonance, la dérivation, le polyptote.

3. Figures de style (chap. III, p. 359-402). Le style est « l’art de peindre la pensée par tous les moyens que peut fournir une langue » (p. 359, il souligne) :

Le Style a donc à son usage toutes les figures des classes de Diction, de Construction, d’Élocution, de Signification, et d’Expression. Il est comme un centre où vont aboutir et se rattacher ces cinq différentes classes. Mais il a lui-même ses figures propres et particulières […].

p. 359

Les figures de style ont des ressemblances avec les figures d’élocution et de construction mais elles portent sur toute une expression. Elles sont caractérisées par « une vivacité, une noblesse, ou un agrément qu’elles donnent à toute l’expression, n’importe quel en soit le sens, ou figuré ou non figuré » (p. 226). On trouve dans ce chapitre des sous-divisions de nouveau : les figures de style par emphase, par tour de phrase, par rapprochement, et par imitation.

Les figures de style par emphase sont la périphrase, la conglobation, la suspension, correction, la paraphrase et l’épiphrase ; les figures de style par tour de phrase sont l’interrogation, l’exclamation, l’apostrophe, l’interruption, la subjection et le dialogisme ; les figures de style par rapprochement sont la comparaison, l’antithèse, la réversion, l’enthymémisme, la parenthèse et l’epiphonème ; les figures de style par imitation sont l’hypotypose et l’harmonisme.

4. Figures de pensée (chap. IV, p. 403-450). Il est question dans ce chapitre des figures

qui ne tiennent à la pensée seule, qu’à la pensée considérée abstractivement, sans égard à la forme qu’elle peut emprunter du langage ; qui ne consistent, dis-je, que dans un certain tour d’esprit et d’imagination, et, comme le dit Dumarsais, que dans une manière particulière de penser ou de sentir ; qui, par conséquent, sont indépendantes des mots, de l’expression et du style, et n’en resteraient pas moins les mêmes quant au fond, quant à la substance, avec un style, avec une expression, avec des mots tout-à-fait différents.

p. 403

Sont regroupées dans les figures de pensée : les figures par imagination, par raisonnement, ou par développement.

Les figures de pensée par imagination sont la prosopopée, la fabulation et la rétroaction. Les figures de pensée par raisonnement « ou, si l’on veut, par combinaison » (p. 410) sont l’occupation, la délibération, la communication, la concession, la sustentation. Les figures de pensées par développement sont l’expolition, la topographie, la chronographie, la prosopographie, l’éthopée, le portrait, le parallèle et le tableau.

Conclusion

Afin de résumer le contenu de cette fiche de lecture, le schéma ci-dessous reprend le classement des figures selon Fontanier, mais il mérite d’être réalisé surtout parce que ce classement est, pour l’auteur, l’avancée et l’innovation majeure de l’ouvrage. Les deux derniers chapitres des Figures du discours tendent en effet à démontrer l’efficacité du nouveau classement proposé.

schéma bilan Fontanier-1

Le chapitre V (p. 451-460) de ce Traité compare toutes les figures définies depuis les tropes jusqu’aux figures de pensée, et prévient les remarques ou critiques : « Si nous comparons entre elles nos sept classes de figures, nous pourrons trouver qu’elles rentrent, à certains égards, les unes dans les autres » (p. 451). Certaines classifications peuvent en effet sembler inutiles, et comment faire la distinction entre la prosopopée (figure de pensée) et la personnification (figure d’expression) ?

Chaque catégorie ne peut se confondre avec une autre, et si certaines figures ont des fonctionnements qui font penser à d’autres figures, la manière dont s’opère la figuration n’est pas la même. La prosoposée ne se définit pas comme l’allégorie ou la personnification car l’allégorie et la personnification ne s’étendent pas sur toute une fiction, comme le fait la prosopopée. Fontanier invite à avoir le réflexe inverse à celui d’une simplification rassurance en conseillant au contraire de lire les textes en partant du principe qu’au sein de la prosoposée, on trouvera, par exemple, une apostrophe pour la lancer, une métaphore pour la soutenir, et une allégorie pour la rendre plus brillante.


Notes de bas de page

  1. Les deux premiers chapitres montrent un mode de pensée hérité – comme souvent aux XVIIIe et XIXe siècles – de la Logique et de la Grammaire de Port Royal. La thèse principale en est que les idées forment des jugements, qui sont à l’origine des propositions. Lorsque nous exprimons notre pensée, nous formulons un jugement qui s’exprime en une proposition : « C’est un jugement produit hors de notre esprit, et comme posé en avant, comme posé devant l’esprit des autres : c’est une proposition », p. 49, il souligne.
  2. Il rapporte ces définitions : « L’Académie distingue les figures en figures de mots, qu’elle rapporte à la Grammaire, et en figures de pensées, qu’elle rapporte à la Rhétorique. Les premières sont, suivant elle : Un emploi ou un arrangement de mots qui donne de la force ou de la grâce au discours ; les secondes sont : Un certain tour de pensées qui fait une beauté, un ornement dans le discours. » p. 64, il souligne.
  3. « C’est ainsi, par exemple, que, dans l’ordre des choses physiques, les mots inventés pour un sens sont devenus communs à un autre sens, et que nous disons : Un son éclatant, comme, Une couleur éclatante : Un son doux, une senteur douce, une peau douce, une lumière douce, comme, Un goût doux ou une saveur douce […]. » (p. 159, il souligne. Ce sont des catachrèses de métaphore).
  4. Les chapitres II et IV sont consacrés à la présentation des figures qui font l’objet du deuxième manuel ; et aux étymologies des noms des figures, lesquelles sont citées dans les articles dédiés à chaque figure. Ils ne font donc pas l’objet d’un développement ici.
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Clarisse Chabernaud

Clarisse Chabernaud

Clarisse Chabernaud est docteure en langue et littérature françaises, spécialiste de l'histoire du nom propre et des tragédies de Jean Racine.

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